Je
reviens d'Apex, le faubourg reculé d'Iqaluit, là où les aurores
boréales échappent quand même un peu à la pollution lumineuse de
la capitale nunavummiut. Dans un étroit atelier dissimulé dans une
maison du quartier, une douzaine de femmes sont réunies pour une
soirée d'artisanat. Le projet: une fleur coud à la main aux pétales
en peau de phoque avec des perles en son coeur.
Des
quoi parle toutes ces femmes assises l'aiguille à la main?
De leurs enfants, de la garderie idéale dont elles rêvent pour
poursuivre leur carrière, de leurs rendez-vous prénatals soldés en
déception par un praticien médico-centré et aussi d'une césarienne
qui a sauvé un bébé qu'on croyait mort-né.

Mais
cette césarienne n'a rien d'une cicatrice anodine qui guérit
lentement à travers un abdomen et un utérus.
« J'ai tellement eu peur, je suis tellement reconnaissante que
mon bébé aille bien.» Voilà la phrase rationnelle que tant de
femmes se répètent pour se convaincre que leur opération
d'urgence, celle qui a failli faire basculer la Vie, n'est pas si
grave. Ce discours, bien que vrai en apparence, c'est de la foutaise!
Parce que lorsqu'on s'y attarde, la césarienne d'Émilie a laissé
une autre cicatrice, beaucoup plus importante… qui saigne encore.
Parce que lorsqu'une femme se retrouve clouée à un lit, dépossédée
de son corps, perdue dans un tourbillon fou d'une intervention qui en
engendre une autre, elle se sent plus vulnérable qu'un papillon à
l’aille brisée. Ce soir, Émilie se sent en confiance :
« C’est certain que si je veux un autre enfant, je devrai
d’abord guérir de ce traumatisme. » La dignité, l'intimité,
l'intégrité, c'est fragile, c'est précieux.
Une
précieuse perle après l'autre, des doigts, parfois malhabiles par
la nouveauté de l'exercice, enfilent ce qui sera le coeur de notre
fleur artisanale.
En
fait, chaque
naissance, qu'importe l'issue de l'accouchement, touche le coeur,
suscite des souvenirs, des sentiments et des images en boucles dans
la tête d'une femme qui vient de vivre l'Intensité de la Vie.
Derrière chaque césarienne, il y a un coeur brisé en mille
miettes, un besoin de comprendre, de mettre des mots et la recherche
d’un baume pour soigner sur ce traumatisme. Il y a un deuil, une
situation à comprendre, un pardon à se faire, un pardon à faire la vie.
Les
fleurs commenceront bientôt à pousser.
Aujourd'hui,
20 mars, nous sommes le printemps.
Le
printemps d’une saison,
le
printemps d’une étape,
le
printemps d’une vie.
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Photo de ma collection personnelle (comme toutes celles de ce blog) Merci de respecter les droits d'auteur / copyrigth |
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